25 mai 2008. C'est notre premier jour a Sucre et nous nous reveillons sous les fanfares. Aujourd'hui, la ville fete l'anniversaire de sa premiere rebellion anti-coloniale (le « cri de la liberte »). Au programme : defile de corps professionnels a n'en plus finir, fanions aux couleurs de la region, percussions, cymbales, majorettes, uniformes...tout y est. Sur les trottoirs, les vendeuses de rue preparent des empanadas (casse-croutes), les gamins se promenent avec des ballons Spiderman gonfles a l'hélium, les representants politiques (les chefs des deux principaux partis) serrent les mains des innombrables spectateurs, tout en cherchant soigneusement a s'eviter pour ne pas avoir a se confronter. A leur passage, ils sont applaudis par la foule et suivis par les cameras. Tout ceci se deroule dans un decor superbe parce que Sucre, capitale constitutionnelle du pays, est une ville magnifique. Pour nous trois, c'est un grand moment d'insouciance. Nous avons l'impression d'etre au bon endroit au bon moment. Nous faisons meme un tour au Salon du Chocolat qui a ouvert ses portes. Les jours suivants, nous partagerons notre temps entre des ballades citadines et un suivi tres actifs des premiers matchs de Roland Garros, confortablement installes dans une chambre d'hotel kitchissime.
Mais un premier element nous met la puce a l'oreille. Sur un mur il est ecrit « Venez a Sucre vous vivrez le racisme colonial... ». C'est vrai que nous sommes dans une ville totalement coloniale (construite par les colons, pour les colons...qui finalement n'en sont jamais partis) comme toutes les villes du continent que nous avons visite jusqu'à present ; mais « racisme », le terme nous semblait un peu fort. Nous dechanterons quelques jours plus tard, lorsque Yves tombe par hasard sur un article repris par le site de Liberation qui raconte la journee du 25 mai : pendant les fanfares, sur la place de l'Independance (le symbole est fort !) un groupe de jeunes a humilie une delegation amérindienne venu soutenir le president Evo Morales en visite a Sucre pour annoncer des mesures sociales en leur faveur. Ces jeunes leur ont jete des pierres, les ont pris en otage, leur ont fait enlever le haut de leurs costumes traditionnels, ont brule les vetements, les drapeaux et les insignes, leur ont fait faire le tour de la place points lies, puis ils les ont fait s'agenouiller par terre en face de la « Casa de la Libertad », baiser le sol, manger des fientes de poulet puis les ont ruer de coups. PERSONNE NE S'EST INTERPOSE. Pendant ce temps, a l'entree de la ville, d'autres jeunes ont jete des pierres sur tous les amerindiens qui tentaient d'entrer dans la ville, femmes et enfants compris. Etant donne la fureur des opposants, Morales a prefere calmer les esprits et annuler sa visite.
Voilà ce qui s'est passe le 25 mai dernier a Sucre, pendant que nous dormions tranquillement a l'hotel, a moins que ca ne soit passe pendant que nous entamions une degustation de chocolat blanc. Cette histoire me rend folle !!! D'une part parce qu'elle me donne envie de vomir, mais aussi parce que nous n'avons rien vu. Comment avons nous pu passer a cote de ca !
Le jour meme a Sucre, les representants politiques continuaient a serrer les mains comme si de rien n'etait, comme si ce genre d'humiliation etait anecdotique. Le lendemain, le journal local « Correo del Sur » a fait sa une dessus (il semble que ce soit cet article qui est a l'origine d'une mobilisation pro-amerindienne dans les journaux europeens). Sinon, il y a bien eu une petite marche silencieuse de femmes qui militaient contre la violence conjugale et contre le racisme (comme si ce theme avait ete rajoute a la derniere minute) mais sans vraiment d'ampleur. Martin en a discute avec son prof d'espagnol qui s'est dit completement ecoeure par ce qui s'est passe, mais le racisme semble un sujet si tabou que personne n'ose se mobiliser.
Voilà comment on fete l'anniversaire de la rebellion anti-coloniale a Sucre : On humilie les peuples pre-hispaniques qui revendiquent leurs droits.
Mais remettons cet evenement dans son contexte parce qu'en realite, je crois que l'histoire evolue beaucoup en ce moment en Bolivie et pas dans le sens de l'extreme-droite.
La Bolivie est un pays globalement divise en deux, geographiquement et humainement. A l'Ouest, ce sont les Andes, les hautes montagnes avec des ressources pauvres et un climat defavorable. A l'Est, c'est d'abord la Pampa, terres cultivables et facilement accessibles, puis la jungle (qui est de plus en plus defrichee). A l'Ouest vivent les « amerindiens » (les peuples pre-hispaniques qui continuent de preserver leur culture, leurs vetements traditionnels et leur mode de vie) tandis qu'a l'Est vivent des Metis qui sont occidentalises et riches parce qu'ils habitent dans des regions plus developpees et moins enclavees. (Soyons clairs, je generalise pour que ce soit plus simple, mais la realite est sans doute beaucoup plus complexe.)
Les Metis et les quelques blancs (3% de la population) qui vivent en Bolivie ont toujours ete l'elite, ils ont toujours detenu le pouvoir politique et economique, tandis que les amerindiens (la majorite de la population) n'ont jamais ete vraiment entendus ni consideres.
En 2005, election historique : Evo Morales, un amerindien, est elu chef de l'etat. Socialiste, il veut une redistribution des richesses et multiplie les aides aux defavorises. Les riches de l'Est constatent qu'ils sont relayes en 2nd position et qu'ils payent pour les autres.
Le 4 mai dernier, la province de Santa Cruz, la region la plus riche du pays, se declare autonome apres avoir effectue un referendum (qui n'est pas reconnu par le gouvernement). « Ce n'est pas notre faute si nous sommes riches, alors debrouillez vous entre pauvres... », voilà pour l'etat d'esprit (pour les propos les plus courtois). De meme, le 1er juin dernier (soit quelques jours apres les actes racistes qui se sont deroules a Sucre) avait lieu le referundum pour la region de Sucre. Voilà le climat hyper tendu dans lequel se trouve aujourd'hui la Bolivie.
Pour plus d'infos (il semble que les medias en Europe n'en ai pas du tout parle), 3 articles
http://contrejournal.blogs.liberation.fr/mon_weblog/2008/05/devant-les-viol.html qui resume cette journee du 25 mai.
- http://www.legrandsoir.info/spip.php?article6713 qui fait une analyse de la situation des peuples pre-hispaniques en Amerique Latine.
http://www.ouest-france.fr/Bolivie-les-Indiens-face-a-la-fronde-des-Blancs-/re/actuDet/actu_3637-639280------_actu.html qui nous explique qui sont ces jeunes racistes.
Sur un ton beaucoup plus detendu, vous pouvez aussi voir le film "Quien Mato a la llamita Blanca" ("Who killed the white llama" en anglais), realise par le bolivien Rodrigo Bellott qui parle avec beaucoup d'humour des Collas (des Andes) et des Cambas (de la Pampa et de la jungle)... Nous avons l'impression d'avoir plus appris pendant ces 2 heures de film qu'en 3 semaines de voyage.
Voilà. Nous continuons notre route avec un goût amer. On essaye de mettre cet evenement de cote pour ne pas passer a cote des autres facettes de la Bolivie, mais ce n'est pas simple.
Est-ce que ce sont les derniers soubressauts d'une extreme droite qui sent le vent tourner ou au contraire, est-ce le debut d'une haine raciale qui ne demandait qu'a s'exprimer ?
1 commentaire:
à creuser
je reste perplexe
:-((
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